Présentation

Sud des Landes. Un marais. L’eau qui séjourne ici est à l’origine de chaque mouvement, de chaque changement. Elle baigne les édifices végétaux et les abreuve, participe à leur croissance. Elle dissout, aidée d’un cortège de bactéries nécrophages, les organismes défunts qui répandent alors leurs substances. Les résidus colorés s’accumulent ou suivent les courants. Les silhouettes s’enfoncent dans la soupe ou se brisent. Le grouillement est permanent. Les cycles imbriqués, instantanés ou millénaires, microscopiques ou étendus, révolutionnent à tour de bras, qui de la démarche des bêbêtes, qui de la couleur des eaux.

D’intenses reflets irisés suggèrent la présence d’hydrocarbures, nés comme le pétrole du tissu végétal. La surface métallisée donne à voir le contour des nuages. L’ombre des branches s’y imprime violemment.

Rien n’est stable. Rien n’est délimité. Rien n’est individuel. Rien n’est homogène.

Ces myriades de destins minuscules ne sont qu’Un. Le marais est Un, d’une complexité indicible.

Quand un regard l’effleure, s’en échappent une volée d’allégories. Tant de petites histoires se déroulent ici bas. Funestes, quand les osmondes royales brunissent et se dessèchent. Tendre, une vieille main que caressent les doigts de ses enfants. Les plantes ont des postures, une chorégraphie : un chœur de vierges folles que la saison fatigue. Les petites pattes d’une araignée d’eau ont laissé des traces dans une boue brillante. On peut compter ses pas.

Depuis treize ans, je fréquente ces lieux. C’est ma fenêtre sur la complexité du monde. Je ne comprends rien, techniquement, de ce qui s’y passe. Je ne connais pas le nom des plantes, ni celui des oiseaux.

Le bonheur esthétique que j’éprouve à voir et à photographier ce lieu, vient bien sûr de ce que j’ai vécu, durant mes jeunes années, prés des étangs ou des cours d’eau voisins. Le regard aime retrouver les fondamentaux enfantins. Mais il est un autre bonheur, plus subversif. Celui de voir l’imagerie proprette qui envahit les villes et les écrans, s’effacer devant l’audace du Marais, devant son sens de la provocation.

Un jour, alors que j’officiais mon reflex à la main, une promeneuse potelée m’adressa la parole. Elle me confia ses impressions, comme si mon application et mon appareil faisaient de moi le responsable ou même le concepteur du lieu :

« Ouais, c’est bien beau votre marais là … mais vous croyez pas qu’on devrait nettoyer ? » … me dit-elle à demi indignée, telle une rosière dont un jeune coquin aurait soulevé la jupe.

Elle a raison la Dame. Que d’impudeur dans nos marais! On y croise l’agonie à chaque pas, les sécrétions visqueuse s’y mélangent, on s’y accouple à tous les coin de rue, on fait la guerre pour un lopin, les nations se frôlent et se métissent. Notre histoire et nos histoires y sont criées sur tous les toits, sans vergogne.

Pour bon nombre de mes congénères, si sensibles, si réservés , la « Nature » est au sommet de sa gloire quand elle ressemble à un golf. Délimitée, ordonnée, uniforme, numérotée même, éternellement stable. Aucune allusion morbide au sort qui nous est du. Rien d’anxiogène! … un parcours balisé. Ce que la vie aurait du être …

Ainsi, cette masse hétéroclite, cette profusion, a de quoi nous troubler. Ce trouble prend chez certains les traits d’un dégoût souverain. Il est chez moi fascination, une fascination motrice, active, et prosélyte.

Qu’y puis-je, ce sont les parcours de golf qui s’engouassent. Le Jardin du Luxembourg me semble pathétique … et j’ai en horreur ses pigeons …

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